Assises de la presse en Guadeloupe : journalisme, liberté et pouvoir

Assises de la presse en Guadeloupe : journalisme, liberté et pouvoir

Le journalisme (journaliste) est-il libre ? C’est une des quatre thématiques qui seront abordées, à l’occasion des Assises de la presse en Guadeloupe. Plusieurs professionnels des médias de l’archipel sont attendus dans l’émission ZCL News sur la télévision privée Canal 10, ce jeudi 11 mai 2023, de 12 h 30 à 14 h 45.

J’annonce la couleur d’emblée en espérant que mes confrères et consœurs m’apporteront suffisamment d’arguments pour me faire rêver encore. Car, ma longue expérience dans des médias privés m’a enlevé cette illusion de ma jeunesse, qui m’a fait croire, un temps, en un journalisme libre ; à ne pas confondre avec la liberté de la presse.

La différence tient dans ce que j’ai compris de ces définitions.

  • La liberté de la presse garantit aux journalistes la possibilité d’enquêter librement et d’informer les citoyens sur les sujets de leur choix. Grâce à elle, les médias sont libres de diffuser des avis différents, de commenter, de débattre et de critiquer.
  • Le journalisme libre est celui qui s’exerce en toute honnêteté, sans céder à la pression des acteurs politiques et/ou économiques, en mettant en veille son militantisme associatif ou politique, voire en faisant fi de ses intérêts personnels. Il est amené à couvrir tous les sujets sauf à faire jouer sa clause de conscience, inscrite dans son statut.

Du point de vue de l’opinion publique

La pression des acteurs politiques et économiques est la plus évidente. Combien de fois n’a-t-on pas entendu dire que les journalistes sont des vendus ? Ce n’est pas ce point de vue, ancrée dans l’esprit d’une partie de l’opinion publique (souvent sans preuve), qui est à l’origine de la prise de position que je vais développer ici. Je me suis forgé mon avis au fil des années et sur la base d’histoires vécues autant par moi-même que par certains confrères et consœurs. Ni les intimidations que j’ai reçues lors du suivi d’un dossier d’assassinat d’un maire, ni les menaces verbales perpétrées par des sympathisants de causes dont j’ai pu démontrer l’absurdité ne m’ont fait reculer et n’ont influencé ma relation des faits. J’ai juste subi, parfois, la censure de la part de ma hiérarchie, comme d’autres avant et après moi. Et oui ! Le journaliste qui exerce en qualité de salarié ne décide pas seul. Son bulletin de paie est établi par les dirigeants d’une société et quoi qu’il fasse, il est de temps en temps contraint d’être un communicant, s’il veut continuer à nourrir sa famille, jusqu’à ce qu’il ait l’opportunité ou le courage suffisant pour claquer la porte.

Télévizyon pa ka maché san piblisité !

Loin de moi, l’idée de jeter le discrédit sur ceux qui investissent dans la création des médias. Le risque d’entreprendre est tellement immense dans un secteur qui ne peut vivre qu’à coups de subvention des pouvoirs publics et d’achat d’espaces publicitaires par les hobbys de la consommation. « Télévizyon pa ka maché san piblisité ! » (*), comme dirait feu Ibo Simon.  Jounal é radyo nonplis ! (*)

Or, qui détient les cordons de la bourse ? Inutile de vous dire que ce sont les mêmes qui sont en mesure de vous priver de ressources ? Alors l’investisseur est obligé parfois de faire profil bas et d’imposer à son salarié de ne pas toucher à ceux sans lesquels il ne tiendrait pas debout.

Il me vient en mémoire cet épisode où un confrère avait osé évoquer le nom d’un concessionnaire automobile dans les affaires de justice d’un maire de la Guadeloupe. L’article a été publié sans que sa hiérarchie mesure le risque. Eh bien, ce sont tous les contrats publicitaires de l’année suivante qui ont été perdus par le média en question. Toute la rédaction a été sensibilisée à cette situation. Par la suite, ce sont les journalistes eux-mêmes qui ont commencé à s’autocensurer, de peur de mettre en danger leur situation professionnelle. Où est la liberté ?

Intimidations à tous les étages

Quand la pression ne vient pas des lobbies économiques, elle vient des élus en fonction. Cependant, ces derniers ont moins de marge de manœuvre que les patrons des grandes entreprises. Les exécutifs politiques savent, en effet, que priver les médias de subventions ou en réduire le montant peut aussi se retourner contre eux. Alors, ils ont plutôt tendance à intimider, au lieu de trancher dans le vif, comme peut le faire un chef d’entreprise, qui, a priori, n’attend rien du journaliste. La déontologie des journalistes, qui s’appuie sur la Charte mondiale d’éthique des journalistes et la Charte d’éthique professionnelle de 2011 — pour celles et ceux qui s’y astreignent — est assez claire :

  • le journaliste ne touche pas d’argent dans un service public, une institution ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d’être exploitées ;
  • le journaliste n’use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée.

Des Assises de la presse en petit comité

Il faut tout de même dire que, de plus en plus, la profession de journaliste ne se limite pas à celui ou celle qui est passé(e) par une école de journalisme ou qui détient une carte professionnelle délivrée par la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP), sur la base de critères stricts, dont celui d’avoir comme activité principale le journalisme.

Pour preuve, la composition du comité d’organisation de ces Assises de la presse qui se font sans l’aval de l’Union des journalistes et des médias guadeloupéens (UJMG), association de la région Sud Basse-Terre, regroupant une majorité de correspondants de presse, d’animateurs radio, de communicants, minorité de journalistes encartés des communicants, de directeurs de médias dont certains sont des bénévoles, aux côtés d’une minorité de journalistes encartés. Or, la définition de journaliste est la suivante : personne qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée, l’exercice du journalisme dans un ou plusieurs organes de presse écrite ou audiovisuelle.

Parlons bénévolat !

Au nom de la liberté d’expression, les bénévoles — même s’ils ne sont pas des journalistes professionnels, selon la définition officielle — sont donc tolérés dans le concert de l’information et donc dans ces Assises de la presse. Et pour cause ! Ce sont les seuls qui puissent exercer en toute liberté cette activité qui devient pour eux un loisir.  Ils n’ont aucune obligation à respecter la déontologie, même la règle la plus simple : exercer avec la plus grande vigilance avant la diffusion d’une information d’où qu’elle vienne. C’est dangereux pour la crédibilité de la presse locale, mais n’est-ce pas le président François Mitterrand, en 1981, qui a fait des radios pirates des radios libres ?

Ces bénévoles exercent principalement dans des médias militants associatifs. Malheureusement, cette liberté, dont ils pourraient user et abuser, a tout de même une limite. Lequel d’entre eux oserait diffuser une information qui fragiliserait un leader, un membre ou une action de la mouvance politique ou syndicale dont il défend les intérêts ? Il serait sans doute rapidement rappelé à l’ordre par le conseil d’administration de l’organe pour le compte duquel il intervient. Et c’est là qu’apparaissent les notions d’objectivité et d’honnêteté.

Liberté, objectivité, honnêteté

Le journaliste (professionnel ou bénévole) n’est donc pas libre, mais en plus, il n’est pas objectif. Le seul crédit qu’on pourrait lui accorder, c’est celui de l’honnêteté. Or, beaucoup refusent de l’être, toujours pour des raisons mercantiles ou pour entretenir de bons rapports avec certaines institutions.

Est-il concevable qu’un média qui se veut être le leader de l’information en ligne fasse quotidiennement la propagande d’un maire et soit incapable d’évoquer la moindre actualité qui éclabousserait son idole pourvoyeur de fonds, si ce n’est pour le défendre ?

Est-il logique d’être le salarié ou le fondateur influent d’un média et d’être, en même temps, un acteur de la communication d’un parti politique ou d’un candidat à une élection, de surcroît contre rémunération ?

Est-il normal que les journalistes se précipitent à un point presse donné par la préfecture à la fin d’une réunion, alors qu’ils ont été priés gentiment d’attendre devant la porte, pendant une heure ou deux ? N’auraient-ils pas mieux trouvé l’angle d’attaque de leur article ou de leur interview, en assistant à la réunion, même en n’ayant pas le droit de filmer ou de photographier ? La préfecture ne les considère-t-elle pas, dans ce cas, comme de simples porteurs de micros ?

Ces questions devraient être au cœur de ces Assises de la presse.

Le pouvoir de faire et de défaire

Le journaliste n’est pas libre, mais malgré tout, il détient un véritable pouvoir, celui de faire et de défaire. Et cela se voit au niveau national français, notamment lors des élections. Sous couvert de sondages, les médias de France, et donc de Guadeloupe, sont capables de façonner l’opinion, d’orienter le choix des électeurs. Sans entrer dans le fond des programmes, ils peuvent faire progresser un(e) candidat(e) dans les sondages, et casser un(e) autre pour un simple écart de langage, jusqu’à ce que l’opinion s’en détourne complètement. Souvenez-vous de la dernière élection présidentielle de 2022.

Alors s’il est important que la thématique de la liberté du journaliste soit abordée à l’occasion de ces Assises de la presse, ne serait-il pas plus efficace de faire un point sur le respect de la déontologie des journalistes, même lorsqu’il s’agira d’une activité secondaire ou d’une mission bénévole ?

Trois autres thématiques seront abordées lors de ces Assises de la presse :

  • Quel journalisme pour la Guadeloupe ?
  • Quelles sont les attentes des Guadeloupéens s’agissant de leurs médias ?
  • Que faut-il pour avoir des médias au service de la population ?

Je n’ai pas d’avis tranché sur ces questions, mais j’ai rêvé d’un journalisme où les médias s’attachent, ensemble, à encourager l’action au lieu de cultiver les déclarations d’intention.

J’ai bien dit : j’ai rêvé…

(*) La télévision de ne peut pas exister sans publicité ! Les journaux et la radio non plus !

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