La cohabitation, bizarrerie de la République ?

La première cohabitation entre François Mitterrand et Jacques Chirac
La première cohabitation entre François Mitterrand et Jacques Chirac (© Vie publique)
Elle est devenue l’espoir des perdants de l’élection présidentielle. En quoi cette organisation particulière de l’exercice du pouvoir, au sein de la République française, peut-elle changer la donne ?

La cohabitation, c’est le mot à la mode depuis les résultats de l’élection présidentielle. La victoire d’Emmanuel Macron est incontestable et incontestée, même si chacun a son explication sur les raisons du choix des citoyens. Pour certains, c’est à cause de la ligne politique du Rassemblement national, de Marine Le Pen, classée à l’extrême-droite de l’échiquier politique. Pour d’autres, c’est grâce à la France insoumise, de Jean-Mélenchon, dont le mouvement est positionné à gauche, voire pour ses détracteurs à l’extrême-gauche. Ces deux forces politiques sont incompatibles, mais elles ont un point commun. À l’issue de cette présidentielle, elles n’ont qu’un souhait : remporter les élections législatives et imposer une cohabitation à Emmanuel Macron.

56 % des Français favorables à la cohabitation

Selon un sondage réalisé par Ipsos-Sopra Steria pour France Télévisions et Radio France, intitulé Comprendre le vote des Français, 56 % des sondés souhaiteraient que le chef de l’État réélu perde le scrutin. Ils sont favorables à « une cohabitation avec un gouvernement de l’opposition qui l’empêche de mettre en œuvre son programme ».

Les sondés souhaiteraient que les législatives débouchent sur un renforcement des principales forces d’opposition au détriment de La République en Marche et ses alliés. On enregistre 39 % pour la France insoumise et 38 % pour le Rassemblement national. En revanche, 38 % souhaiteraient un affaiblissement de La République en marche.

Cela signifie que les personnes interrogées seraient favorables à une cohabitation. Rappelons que la cohabitation est inéluctable quand le parti du président de la République n’est pas majoritaire à l’Assemblée nationale. Il doit alors nommé un Premier ministre issu des rangs de l’opposition et du parti vainqueur de ces législatives. Cette situation s’est déjà produite à trois reprises sous la Ve République.

François Mitterrand a inauguré ce fonctionnement bicéphale

La toute première fois, c’est lorsque Jacques Chirac est devenu Premier ministre de François Mitterrand, en 1986. Ensuite, en 1993, la victoire de l’Union pour la France (UPF) contraint à nouveau François Mitterrand à désigner un opposant aux fonctions de Premier ministre. Son choix portera sur Edouard Balladur.

Jacques Chirac, président ayant dissout l’Assemblée nationale, a perdu les élections, en 1997. Il a donc été obligé, à son tour, de désigner comme Premier ministre, un opposant, le socialiste Lionel Jospin. Ces trois cohabitations ont montré qu’il était possible de gérer cette situation, à partir du moment où les deux camps s’entendent de manière informelle sur un partage des pouvoirs, en ayant conscience que le président retrouve affaibli. Il est alors considéré comme le chef de l’opposition parlementaire, mais c’est lui qui continue à signer les décrets et ordonnances.

La cohabitation, phénomène à risque

Jacques Chirac, pointant du doigt un journaliste lors de la conférence de presse finale pour clôturer le deuxième sommet du Conseil de l’Europe, sous le regard de son Premier ministre,Lionel Jospin. (©Vie publique)

Jusqu’ici, on peut dire que les cohabitations se sont plutôt bien déroulées. Mais il y a toujours un risque que ce fonctionnement affaiblisse la France,

C’est possible notamment dans le cas où le Président et le Premier ministre ne serait pas d’accord sur les relations avec l’Union européenne et les grandes puissances que sont la Chine, les États-Unis et la Russie. La Constitution (loi constitutionnelle du 2 octobre 2000) a déjà été révisée, afin d’atténuer les effets de la cohabitation. Les parlementaires ont réussi à faire coïncider la durée du mandat présidentiel avec celui des députés ; 5 ans tous les deux.

Toutefois, les risques de mésentente en matière de politique étrangère sont toujours d’actualité, surtout dans le contexte de guerre en Europe, même si le Président reste détenteur l’autorité en matière de défense et de diplomatie.

Cela veut dire que le phénomène de la cohabitation est sujet à débat et mérite que les autorités y consacrent un peu de temps. Si le camp d’Emmanuel Macron gagne les élections législatives, il pourra mener ces chantiers institutionnels, qui pourront être validés avant la fin de son quinquennat. N’ayant pas la possibilité de se représenter et n’ayant donc la pression d’une réélection à préserver, il peut agir. D’ailleurs il a déjà déclaré, dès 2017, qu’il n’était favorable à une dose de proportionnelle aux élections législatives et à un retour au septennat.

Des sujets qui méritent d’être traités

Cela fait partie des sujets qu’Emmanuel Macron et le Parlement devront traiter, aux côtés de beaucoup d’autres :

  • l’impact des sondages sur les deux tours de scrutin et la nécessité de réétudier la réglementation en la matière : faut-il les interdire une semaine, un mois ou plus, avant le premier tour de scrutin ?
  • la prise en compte des bulletins blancs : faut-il les dissocier de bulletins nuls afin de les considérer comme des suffrages exprimés ?
  • la remise en question de la durée du mandat présidentiel, qui est de cinq ans, et la possibilité d’un retour du septennat en remplacement d’un quinquennat, qui ne peut être renouvelé qu’une fois consécutivement ;
  • la déclaration de candidature du président sortant : faut-il fixer un délai de déclaration obligatoire de candidature au chef de l’État à l’approche de la fin de sa première mandature ?
  • la validation des candidatures : faut-il revoir l’obligation de parrainage et notamment la publication des noms des parrains ?
  • la lutte contre l’abstention : faut-il rendre le vote obligatoire ou conditionner l’obtention de certaines aides sociales ou fiscales à l’exercice effectif de son devoir de citoyen ?
  • le mode d’élection du président : faut-il limiter la qualification pour le second tour aux deux premier(e)s du premier tour ou offrir la possibilité à celles et ceux qui auraient franchi un certain nombre de suffrages de participer au second tour ?

Ce ne sont certes pas des priorités pour les Français, mais il convient de s’y intéresser pour que les mêmes sujets ne reviennent pas sur la table dans 5 ans et pour enrayer le désintérêt croissant d’une partie des Français pour la politique. Chacun reconnaît que le système actuel est à bout de souffle et qu’un toilettage de ces institutions en vaut la peine.

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