
Élisabeth Borne a été désignée Première ministre de la France lundi 16 mai 2022. Première et non Premier ministre. L’information avait fuité plusieurs heures auparavant, mais le communiqué de l’Élysée n’a été publié qu’en fin de journée. Et toute la presse (ou presque) n’a retenu qu’un fait : c’est une femme. Pas une seule des chaînes de télévision n’a accueilli cette information autrement qu’en mettant l’accent sur le genre de la nouvelle locataire de l’Hôtel Matignon.
Lutter contre ce plafond de verre
Combien de temps encore faudra-t-il que les gens soient ramenés à leur sexe ou à leur couleur de peau dans la société française ? Les Juifs et les homosexuels intègrent bien des gouvernements et autres institutions sans qu’on en fasse un événement. Sans doute est-ce parce que cette France-là est profondément misogyne et raciste malgré elle ? Quand un préjugé de supériorité est ancré dans l’inconscience collective d’un groupe depuis des siècles, c’est difficile de s’en débarrasser. D’autant plus que les femmes elles-mêmes entrent dans ce jeu des machistes en mettant en avant leur genre. Élisabeth Borne est d’ailleurs tombée dans le panneau lors de sa première déclaration, juste après sa nomination. « Je ne peux pas ne pas avoir une pensée pour la première femme qui a occupé cette fonction, Édith Cresson », avant d’ajouter : « Je dédie cette nomination à toutes les petites filles : allez au bout de vos rêves ! Rien ne doit faire cesser le combat pour la place des femmes dans notre société ».
C’était sans doute une manière de rappeler la réalité de ce plafond de verre pour les femmes, mais aussi pour les Noirs ou les personnes portant des noms d’origine arabe. Mais est-ce qu’en le soulignant, on ne fait pas le jeu de ceux qui, au XXIe siècle, ne considèrent toujours pas la nomination d’une femme à Matignon comme s’inscrivant dans l’ordre normal des choses ?
Élisabeth Borne, c’est d’abord une histoire humaine
Pourtant, il va bien falloir s’y habituer. Quand Jean Ferrat a chanté La femme est l’avenir de l’homme, il a peut-être juste un peu exagéré. Il aurait dû plutôt chanter : la femme doit être l’égale de l’homme, comme l’espèrent les auteurs du dernier rapport de la Direction de la prospective et de la performance sur l’égalité entre les filles et les garçons, de l’école à l’enseignement supérieur. C’est vers cette finalité qu’il faudra tendre pour éviter ce genre de déferlante médiatique chaque fois qu’une femme sera mise en avant dans le monde des hommes.
Élisabeth Borne, c’est d’abord une histoire humaine — pupille de la nation, née d’un père juif d’origine russe, résistant, devenu français après la Seconde Guerre mondiale —, qui ne doit pas passer inaperçue. C’est ce genre d’histoire qui pourrait faire le charme de la France et encourager ceux qui veulent lutter contre ce plafond de verre de l’ascension sociale.
La vraie question de ce jour est : a-t-elle la tête suffisamment pleine et bien en axe sur ses épaules pour conduire les affaires de la France ? Une réponse affirmative semble naturelle eu égard à son parcours : de brillantes études (diplômée du Collège des ingénieurs, de l’École nationale des ponts et chaussées et de l’École polytechnique), une expérience de préfète en Poitou-Charentes, qui lui confère une belle connaissance de l’administration d’État, une longue carrière dans les cabinets ministériels aux côtés de Jack Lang, Lionel Jospin et Ségolène Royal ainsi qu’avec Bertrand Delanoë, en qualité de directrice de l’urbanisme à la mairie de Paris.
Élisabeth Borne a l’expérience de la machine d’État
Sous la présence d’Emmanuel Macron, elle a été ministre des Transports (2017), ministre de la Transition écologique et solidaire et ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion ; période durant laquelle elle a finalisé la très controversée réforme de l’assurance chômage.
Elle a donc l’expérience de la machine d’État, même si, comme Emmanuel Macron, elle a oublié de gagner une élection. Ce sera peut-être fait lors des prochaines législatives. Elle est candidate dans le Calvados et espère bien une victoire de la majorité présidentielle, ce qui lui permettra de rester à Matignon et de laisser à son suppléant son siège à l’Assemblée nationale.
L’absence d’ancrage territorial est la différence avec ses deux prédécesseurs. D’un côté, Edouard Philippe, actuel maire du Havre, qui prépare les législatives avec son parti Horizon et vise déjà l’élection présidentielle de 2027. De l’autre, Jean Castex, qui va retrouver le soleil du Sud. « Je vais retourner dans mes Pyrénées, il faut que je repeigne mes volets et ma rambarde qui ont pris un coup pendant deux ans », a déclaré l’ancien maire de Prades (Pyrénées-Orientales), au Parisien.
« Un non-événement », selon Roselyne Bachelot
Élisabeth Borne a donc les rênes et il faut cesser de la regarder comme une femme. Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, l’a d’ailleurs souligné à juste raison, sur BFM TV, au lendemain de cette nomination : « Ça devrait être un non-événement », avant d’ajouter, « c’est une femme qui est d’abord compétente ». Reste à savoir si elle sera vraiment chef du gouvernement ou si elle se laissera tenir la main par celui dont elle est une fidèle, au point d’avoir adhéré à La République en Marche, désormais Renaissance, appellation de la liste LREM aux élections européennes en 2019
Autre question : est-elle à Matignon provisoirement, en attendant les législatives qui restent à gagner ? D’ailleurs, elle devra se retrousser les manches, mouiller la chemise et mettre la main dans le cambouis. À commencer par ces débats télévisés que les principaux adversaires de la majorité présidentielle — Jean-Luc Mélenchon (Nupes) et Marine Le Pen (RN) — appellent de leurs vœux.
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