
Le professeur Hyacinthe Bastaraud est à l’honneur à l’occasion d’une exposition qui sera présentée samedi 13 mai 2023, à la bibliothèque municipale de Grand-Bourg de Marie-Galante.
Cette exposition clôture l’année Hyacinthe Bastaraud, qui a débuté en 2022. Mais c’est surtout l’occasion de mieux faire connaître ce grand homme, dont statue mériterait bien d’être érigée devant le nouveau Centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe, qui est en voie d’achèvement dans le secteur de Perrin, sur le territoire de la ville des Abymes. Et pourquoi ne pas attribuer à cet établissement le nom de l’illustre médecin guadeloupéen, instigateur de la faculté de médecine de l’université des Antilles et de la Guyane ? Ce serait certainement le plus bel hommage qu’on pourrait lui rendre, en y installant cette exposition de manière permanente à l’accueil ce site hospitalier.
Le professeur Hyacinthe Bastaraud en dix tableaux
Découvrez le contenu de cette exposition en dix tableaux biographiques exceptionnels qui retracent l’exceptionnel parcours de vie de ce scientifique guadeloupéen issu d’un milieu social modeste, depuis sa naissance en 1930 jusqu’à sa mort en 2007. Ses allers-retours à pied sur plusieurs kilomètres entre la case familiale et l’école, ses succès universitaires, son accomplissement professionnel et citoyen, sur fond d’épanouissement familial, sont fidèlement relatés dans cet affichage illustré. Voici donc le résultat d’un travail de recherche et de synthèse, qui permet de mieux mesurer l’impact de son action sur l’engagement et l’évolution des femmes et des hommes qui ont eu le privilège de cheminer à ses côtés, mais également sur la modernisation des structures de soins et l’enseignement universitaire en Guadeloupe.
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A – Son parcours de vie
- Enfant de Marie-Galante, fierté de la Guadeloupe — Naître à Marie-Galante dans les années 1930.
- L’enfant Galets — S’appuyer sur un socle familial solide et affronter la vie sans rechigne.
- L’adolescent déterminé — Mettre la main dans le cambouis et enrichir son esprit avec les livres.
- L’universitaire surdoué — Franchir les marches universitaires quatre à quatre et gagner le défi du retour au pays natal.
B – Son apport à la société guadeloupéenne
- Au-delà de l’engagement professionnel — Servir son pays et se rendre disponible pour l’action associative et citoyenne.
- Le visionnaire humaniste — Laisser des traces dans la pierre et sur le papier pour aider les générations futures.
- L’homme de la coopération médicale — S’ouvrir sur la Caraïbe et le monde et avancer vers le mieux-être de tous.
- Le militant contre le sous-développement hospitalier — Travailler sans relâche pour moderniser l’offre hospitalière et universitaire.
- Un départ en paix — Trois messages forts pour la postérité.
- Son héritage à la Guadeloupe — Soixante-dix-sept années d’une richesse inouïe.
Un parcours exceptionnel
De ces travaux rédactionnels et iconographiques, il ressort un message qui se répète sur chacun des tableaux de l’expédition : Si’w pè, dépè… Sé zyé ki lach ! Ne laisse pas la peur prendre le dessus sur tes ambitions !

ENFANT DE MARIE-GALANTE, FIERTÉ DE LA GUADELOUPE — Naître à Marie-Galante dans les années 1930
Au commencement, le ciel est éclairé. La pleine lune est passée depuis seulement deux jours en ce 11 septembre 1930. Il est 22 heures et c’est le moment que ce petit enfant choisit pour pousser son premier cri. Marie-Galante, terre authentique, terre de labeur, de terre de soleil, accueille Hyacinthe, deuxième de la fratrie Bastaraud, après Victor. Un deuxième garçon bienvenu.
Son père Mène et sa mère Prudencia — une demoiselle Bade, de la commune de Capesterre — sont heureux de le recevoir, comme un cadeau de Dieu. Ils ne s’imaginent pas qu’ils viennent de mettre au monde un fils qui, dans quelques années, ne sera plus le leur, mais celui de la Guadeloupe tout entière.
Après Victor et Hyacinthe arrivent Françoise, la seule fille, et quatre autres fils : Luc, Prosper, Félix et Lucien. Tous ont de belles carrières professionnelles dans la fonction publique, l’agriculture, l’artisanat, l’hôtellerie ou encore le commerce, parfois bifurquant d’un domaine à l’autre.

L’ENFANT DES GALETS — S’appuyer sur un socle familial solide et affronter la vie sans rechigner
Chez les Bastaraud, solidement ancrés dans leur terre, au lieu-dit Les Galets, la vie est rythmée par les travaux des champs. Le petit Hyacinthe s’y sent comme un poisson dans l’eau. Surnommé Piersaint (Piercin), en référence à saint Pierre, chef de l’Église catholique, baptiseur de sainte Perpétue, qui se trouve être son deuxième prénom, il est clairement né dans une famille chrétienne, de surcroît sous une bonne étoile, malgré un double handicap. Il est atteint d’un strabisme à l’œil gauche et d’une atrophie de la jambe du même côté. Cela ne l’empêche pas d’aider son père dans les plantations, de s’occuper des poules, lapins et cochons de la famille, mais surtout de parcourir quotidiennement cinq kilomètres à pied, dès l’âge de 7 ans, pour se rendre, en 1937, à l’école primaire du bourg de Capesterre, où, souvent, il arrive dégoulinant de sueur. Insuffisant, en tout cas, pour le décourager. Il décroche son certificat d’études primaires à l’âge de 12 ans, en 1943, avec les félicitations du jury.
C’est un bel entraînement avant les études secondaires à Grand-Bourg. On n’a pas d’autre choix que de parcourir 15 km à pied, quand le transport scolaire n’est même pas imaginable en ces temps de disette, de Seconde Guerre mondiale et post-Tan Sorin.

L’ADOLESCENT DÉTERMINÉ — Mettre la main dans le cambouis et enrichir son esprit avec les livres
Quand on est issu d’un milieu social très modeste, une des solutions pour sortir des lisières des champs de canne et « woté pyé a’w an vyé soulyé » (*), c’est de chercher le savoir dans les livres. Tout le monde peut le faire. Hyacinthe Bastaraud l’a compris très tôt. Entre le primaire et le secondaire, pendant deux ans, certificat d’études primaires en poche, il entre dans la vie active. La Seconde Guerre mondiale, qui aggrave les difficultés du quotidien de son île, ne lui en laisse pas le choix.
Les études de son frère aîné, Victor, parti dès l’âge de 12 ans comme interne au lycée Carnot de Pointe-à-Pitre, coûtent déjà très cher aux parents. C’est donc l’occasion pour Hyacinthe de s’initier au travail de la terre aux côtés de ses parents, puis au métier de maçon, en compagnie d’un artisan du bâtiment de l’île, de 1943-1945. De quoi lui donner le goût de l’effort. Pendant la saison sèche, une de ses missions consiste à aller, toujours à pied, chercher de l’eau à la mare de Bézard, située à quatre kilomètres de la case familiale. Il pouvait être contraint de renouveler l’opération, si par mégarde, il faisait tomber le seau d’eau. Autrement, c’était le temps d’aller jouer à cache-cache, à la marelle ou encore à la toupie avec ses frères et sa sœur.
Cette enfance, à la fois d’insouciance et de labeur n’est qu’une péripétie sur son chemin de vie. Il est premier de la promotion du brevet d’études du premier cycle (BEPC) de 1948 et intègre, à titre exceptionnel vu son âge (18 ans), le lycée Carnot de Pointe-à-Pitre, jusqu’en 1951.
(*) Traduction littérale : « Ôter ses pieds des vieux souliers ». Signification : « Sortir ’une situation précaire ou dégradante »

L’UNIVERSITAIRE SURDOUÉ — Franchir les marches universitaires quatre à quatre et gagner le défi du retour au pays natal
Ça y est ! C’est décidé. Hyacinthe sera médecin ! Commence alors ce merveilleux parcours universitaire dès1951. Il vient d’obtenir le baccalauréat, série mathématiques élémentaires, assorti du prix d’honneur du préfet de la Guadeloupe, réservé aux meilleurs élèves de la série pendant les trois dernières années de lycée. Direction la faculté de médecine de Toulouse, où son frère aîné, Victor, est installé depuis cinq ans. Au départ de ce dernier pour le Tarn, Hyacinthe prend la direction de Paris, puis de Tours. La vie d’étudiant est précaire, mais il trouve la force d’enchaîner les succès :
- 1959, major à son premier concours à la faculté de Tours et prix SPÉCIA, réservé chaque année au lauréat de l’épreuve ;
- 1964 : prix MIDY, récompensant la meilleure thèse de la promotion, intitulée « 50 cas d’amputation abdomino-périnatale à deux équipes pour cancer du rectum » ;
- 1964 : chef de clinique des facultés et assistant chirurgien à Tours ; 17 juin, qualification de chirurgien ;
- 1966 : retour en Guadeloupe.
De retour définitivement au pays natal, fin juin 1966, il est nommé, le 28 avril 1967, chirurgien chef de service à l’Hôpital général de Pointe-à-Pitre (ancêtre du CHU). Et c’est parti pour une carrière d’exception !
L’apport du professeur Hyacinthe Bastaraud à la société guadeloupéenne

AU-DELÀ DE L’ENGAGEMENT PROFESSIONNEL — Servir son pays et se rendre disponible pour l’action associative et citoyenne
« Je crois que votre dessein premier était de créer une équipe solide et performante, mais votre désir est et reste la promotion de l’homme guadeloupéen, de l’homme tout court ». Cette phrase prononcée par le docteur Alex Falémé à l’occasion du départ à la retraite du professeur Hyacinthe Bastaraud, son mentor, résume assez bien l’esprit qui l’a animé tout au long de sa belle carrière.
Grâce à une grande force de travail, il a également trouvé le temps de s’impliquer dans diverses instances professionnelles et civiles, répondant toujours avec courtoisie aux sollicitations des uns et des autres.
La confiance qu’on lui voue est telle qu’il est nommé président de l’Association mondiale des médecins francophones, en janvier 1993, à Tunis.
« Je ne pensais pas pouvoir bénéficier d’un tel capital de confiance et d’amitié au sein de notre association et du conseil d’administration », allait-il déclarer lors de son discours de remerciement. Son engagement dans les associations professionnelles semble évident, mais il trouve aussi le temps de s’investir dans de nombreuses organisations non médicales ou d’organismes financiers. Entre autres, il participe activement à la transformation des Caisses d’épargne en sociétés coopératives.

LE VISIONNAIRE HUMANISTE — Laisser des traces dans la pierre et sur le papier pour aider les générations futures
Exercer des métiers comme l’enseignement ou la médecine est d’abord une affaire de vocation, une question de cœur, qui se traduit essentiellement par cette envie de partager.
Partager l’espoir et l’optimisme, c’est ce qu’il fait avec ses patients. Bénéficier de ses connaissances, c’est tout le bonheur de ceux qui le côtoient aussi bien dans les salles d’opération que dans les amphithéâtres des universités ou lors des séminaires.
Cette générosité rythme le combat du professeur Hyacinthe Bastaraud pour faire émerger des départements français d’Amérique, cette formation universitaire médicale, bien ancrée désormais dans l’offre d’enseignement mise à disposition des jeunes de notre région.
Visionnaire, précurseur… sont les caractéristiques qui reviennent le plus souvent pour qualifier ce pan de l’action du professeur Hyacinthe Bastaraud. Ayant été témoin actif des difficultés rencontrées par les jeunes Antillais et Guyanais pour mener à bien leurs études dans l’Hexagone, il sait combien ce combat est salutaire. Élu à la charge de doyen de la faculté de médecine des Antilles et de la Guyane, le 6 mars 1990, il peut enfin agir librement et savourer les résultats de ce combat de 30 ans.
Dans sa volonté de partager ses connaissances, le professeur Bastaraud a laissé une bibliographie scientifique très instructive, au service de la postérité.

L’HOMME DE LA COOPÉRATION MÉDICALE — S’ouvrir sur la Caraïbe et le monde et avancer vers le mieux-être de tous
Créer un pont entre la Guadeloupe et une partie de la Caraïbe est une des ambitions du professeur Hyacinthe Bastaraud, dès son retour au pays. Dès qu’il en a eu les possibilités, il ouvre les portes de la faculté de médecine, de l’université des Antilles et de la Guyane vers l’extérieur. Il s’agit de confronter les connaissances en matière de santé, d’enseignement médical et de recherche. Première étape : signer des conventions avec plus d’une dizaine d’universités ou de facultés de médecine de l’Hexagone afin d’obtenir leur aide pédagogique.
Dans la Caraïbe, ce sont les médecins antillo-guyanais qui sont invités à se déplacer dans les îles anglophones, quand des stagiaires venus d’Haïti sont accueillis chez nous. Les recherches sur le sida, la drépanocytose et le cancer de l’utérus favorisent les échanges avec nos voisins, dont Sainte-Lucie et la Dominique. Cette coopération avec les pays de la Caraïbe contribue à limiter la propagation de certaines pathologies, accentuées par les flux migratoires importants et souvent incontrôlés de cette partie du monde. Des actions de prévention, de formation et de recherche rythment cette coopération, qui est au service de tous les peuples. C’est, en effet, tellement plus enrichissant de partager et de mutualiser des actions, plutôt que faire preuve d’égoïsme en gardant jalousement ses connaissances.

LE MILITANT CONTRE LE SOUS-DÉVELOPPEMENT HOSPITALIER — Travailler sans relâche pour moderniser l’offre hospitalière et universitaire
Le proverbe « Nul n’est prophète en son pays » n’est pas applicable au professeur Bastaraud tant il fait l’unanimité, ayant déjà fait ses preuves. L’arrêté ministériel du 19 juillet 1967, confirmant sa nomination en qualité de chirurgien chef de service, n’est qu’une formalité pour ce fils de la Guadeloupe, pleinement engagé pour lutter contre le sous-développement hospitalier. Il se bat pour obtenir la conception et la création d’un véritable centre hospitalier répondant aux exigences du système de soins. Il y parvient. C’est le premier des quatre objectifs qu’il s’est fixé dans sa volonté de servir son pays.
Mettre l’humain, qu’il soit patient, collaborateur ou confrère, au centre de son action et partager son savoir et son expérience avec ses pairs, ont été les leitmotivs du professeur Bastaraud, tout au long de sa carrière. Avec le soutien d’autres Guadeloupéens (élus et professionnels), il a ainsi pu orienter l’offre de soins vers la modernité.
Son action est reconnue à travers ces distinctions ou promotions :
- 1975 : chevalier des Palmes académiques ;
- 1979 : chevalier de l’Ordre national du Mérite et officier des Palmes académiques ;
- 1990 : premier doyen de la faculté de médecine à l’université des Antilles et de la Guyane, puis doyen honoraire en 1995 ;
- 1992 : chevalier de la Légion d’honneur ;
- 1993 : président de l’Association mondiale des médecins francophones ;
- 1996 : officier de la Légion d’honneur…

UN DÉPART EN PAIX — Trois messages forts pour la postérité
Septembre, c’est le mois de naissance du professeur Hyacinthe Bastaraud. C’est aussi le mois de son grand voyage vers sa nouvelle vie, à l’âge de 77 ans, dix ans après son départ à la retraite, en 1997. En effet, le 26 septembre 2007, il rend son dernier souffle dans les bras de son épouse, à son domicile de Plaisance, à Baie-Mahault. C’est un jour triste pour la Guadeloupe et les hommages se multiplient. Celui qui lui est rendu par le personnel du CHU, le 29 septembre 2007, trois jours après sa disparition, est particulièrement émouvant.
Un an plus tard, il est de nouveau mis à l’honneur par le docteur Jacques Salin, à l’époque président de la commission médicale d’établissement du CHU, dans les colonnes d’un numéro spécial Moun Lopital, magazine du personnel du CHU. Il fait part des trois leçons qu’il retient de l’action de ce grand Guadeloupéen. En 2023, elles sont toujours d’actualité et méritent que nous les remettions en mémoire.
- « Porter haut les ambitions légitimes et les espérances des hommes, ne pas se laisser influencer par les idées négatives et ne pas dévier de sa route. »
- « Confiance en soi, confiance en nous, confiance en l’avenir. (…) Savoir percevoir et reconnaître les mains tendues prêtes à aider. Ne repousser aucune aide. »
- « Avancer pas à pas, faire du temps un allié, surmonter les défaites, se remettre à l’ouvrage, savoir apprécier les petites victoires, bref, ne jamais se décourager fut sa ligne de conduite. »

SON HÉRITAGE À LA GUADELOUPE — Soixante-dix-sept années d’une richesse inouïe
Voici une synthèse des résultats du travail du professeur Hyacinthe Bastaraud, qui continue à avoir des effets positifs sur le développement de la Guadeloupe et l’épanouissement de sa population :
- Un système hospitalier moderne et tourné vers l’avenir, qui a permis de prendre conscience du retard accumulé dans la prise en charge sanitaire de la population, dans les années 1960. Le centre hospitalier de Pointe-à-Pitre/Les Abymes, en dépit de grosses crises sociales, a permis de soigner des milliers de Guadeloupéens pendant des décennies. Ce système continue d’évoluer avec la construction du nouvel hôpital sur 19 hectares, dans le secteur de Perrin aux Abymes.
- Une faculté de médecine ouverte sur la Caraïbe, qui offre la possibilité, chaque année, à des centaines de jeunes Guadeloupéens, Martiniquais et Guyanais, d’étudier sans s’éloigner de leur environnement géographique. L’établissement continue de se développer malgré la scission qui a abouti à la création d’une université de plein exercice en Guyane. La collaboration entre les deux structures continue toutefois, dans l’esprit coopératif prôné par le professeur Hyacinthe Bastaraud.
- Une bibliographie au service de tous, avec plus de 80 publications scientifiques, auxquelles il faut ajouter une quarantaine de productions diverses. Il a également dirigé une vingtaine de travaux de thèse et de mémoire. Ces archives sont à la disposition des étudiants et des professionnels de santé.
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